La fuite de la réalité
dans Requiem for a dream de Darren Aronofsky
et dans Trainbspotting d'Irvine Welsh
Darren Aronofsky |
La fuite, selon Henri Laborit, philosophe, chirurgien et neurobiologiste, fait partie des trois états de défense primitifs. À la base, cette réaction permettait de nous faire réagir au danger et de nous en protéger.[1] Comme nous avons évolué, les signes de dangers dans notre société ont fait de même. Par contre, le besoin de défense fait toujours partie de notre être et n’a pas évolué au rythme de la société. Ainsi, aujourd’hui, à cause de l’écart créé entre l’évolution de la société et la stabilité de nos réactions primitives, même les situations les plus banales occasionnent des sentiments négatifs qui font appel à nos états de défense primaires.[2]
Il est ainsi pertinent, mais aussi fascinant, de constater la fuite de la réalité dans des œuvres actuelles, le fait de réussir à transposer ce phénomène de société en intrigues. Ce thème ressort du roman Trainspotting écrit par l’Écossais Irvine Welsh en 1993, ainsi que du film culte Requiem for a dream réalisé en 2000 par l’États-Unien Darren Aronofsky.
Trainspotting est un roman polyphonique dramatique-comique présentant des héroïnomanes d’Édimbourg blasés et désillusionnés, dans les années 1980, qui se cachent du monde auquel ils appartiennent. Le livre à sa sortie n’a pas été acclamé, mais il a repris vie lors de son adaptation cinématographique par Danny Boyle. Les deux œuvres ont eu beaucoup de succès auprès du public.
Irvine Welsh |
Le drame réalisé par Darren Aronofsky met en scène quatre personnages qui, à tant vouloir atteindre une réalité qui frôle le rêve, sombrent dans l’enfer. La mère de Harry, Sara Goldfarb, regrettant un passé échu, cherche par tous les moyens de se recréer un bonheur. Pour ce qui est de Harry, sa copine Marion et son ami Tyron, il ne leur reste pratiquement que leur drogue favorite, l’héroïne. De nombreux prix ont été décernés tant pour la réalisation (le Golden Spike 2000) que pour la musique, le montage et les acteurs. Le film reste encore aujourd’hui une référence cinématographique.
Ainsi, pour bien comprendre en quoi le film et le roman abordent le thème de la fuite de la réalité, il est nécessaire de faire la comparaison entre les deux autant à propos de la réalité que les personnages cherchent à fuir que des moyens entrepris pour y parvenir ainsi que les retombés de ceux-ci. Au final, il reste à déterminer si
la tentative de fuite est un succès ou un échec.
1. La réalité à fuir
Une idée reste autant dans Requiem for a dream que dans Trainspotting : les personnages ne se sentent pas à l’aise avec ce qu’ils vivent au présent. Pris dans une vie qu’ils ne savent comment gérer, ils cherchent donc à fuir. Avant de s’attarder à la fuite, il faut d’abord comprendre le motif de cette réaction dans la vie même des protagonistes.
1.1. La réalité à fuir dans Requiem for a dream
Bouthier, Alain, Rêve américain, 2007.
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Darren Aronofsky avait comme projet principal, en réalisant Requiem for a dream, de critiquer le rêve américain, idéologie forte aux États-Unis. Cette doctrine prend racine dans la quête du bonheur, c’est-à-dire la réussite personnelle possible pour chacun : le « self-made-man ». Plusieurs moyens pour parvenir à ce but ultime, tels que l’argent, le travail acharné et l’amour, sont promus pour l’atteindre.[3] Cet idéal est si puissant qu’en plus d’être encensé par le cinéma hollywoodien[4], il s’est étendu jusqu’au discours politique.[5]
Requiem for a dream s’oppose donc à ce système de valeurs auquel les personnages de son récit peinent à adhérer. Autrement dit, ce n’est pas l’idéologie en soi qui occasionne un besoin de fuite chez les protagonistes, mais plutôt le fait de ne pas pouvoir s’y reconnaître, y participer.
C’est exactement ce que Sara Goldfarb et Harry vont expérimenter dans leur relation mère-fils. La matriarche, souhaitant pour son fils que le meilleur, espère qu’il ait un bon emploi, une belle maison, une femme, une famille, comme le préconises les valeurs du rêve américain.[6] Malgré tout, Sara est consciente que c’est peine perdue : elle connait le passé peu reluisant de son enfant toxicomane, trop accroché à sa drogue pour penser à se prendre en main. Lorsque le fils de Sara, Harry, lui rend visite après un long moment, elle ne cesse de lui poser des questions sur ce qui lui arrive dans le moment présent :
HARRY : Je m’excuse de ne pas être passé plus tôt maman, mais…mais j’ai été plutôt occupé, tu sais…
SARA : …C’est vrai? Tu t’es trouvé un emploi, tu as une bonne paie?
HARRY : Ouais, je suis content, je m’en sors…
SARA : …Mais dans quelle branche c’est?
HARRY : Ben… En fait… eee… je travaille pour un importateur, je distribue ses produits.[7]
Harry ment : il trempe toujours dans la drogue. Le fait de mentir montre qu’à défaut de respecter les normes de la société, il se cache dans ses mensonges, évitant d’exposer sa réalité à sa mère. Ses nombreuses hésitations suggèrent d’ailleurs son malaise face à sa situation. Harry cherche lui-même à fuir sa réalité. Le rapprochement entre la scène du dialogue précédent et la suivante suggère cette idée. Harry, troublé face au constat de sa pauvre vie, remédie à sa tristesse une aiguille dans le bras. Il comprend qu’il n’est pas dans une situation qui favorise le bonheur, l’accomplissement personnel, et cherche à fuir ce fait troublant qui l’exclut de la normalité. De plus, Harry est conscient que tôt ou tard, sa mère devinera ses mensonges. Elle sera déçue autant des faussetés de son fils que du renvoi inévitable à l’impossibilité d’adhérer à l’idéologie surréaliste du rêve américain.
Aussi, la classe sociale des personnages, vivant dans des banlieues pauvres et n’ayant ni un niveau de scolarité élevé ni un emploi stable, mène à un besoin de se cacher la réalité. De plus, le rêve américain propose un niveau de vie aisé à tous ceux qui désirent travailler pour y arriver.[8] Comme les personnages sont pris dans une situation contraire qui ne respecte pas la norme, le désir de fuite est amplifié. Harry, Marion et Tyron manquent souvent d’argent pour acheter leur laissez-passer pour le paradis intoxiqué. Le fait est que la drogue et la pauvreté forment un cercle vicieux. Lorsqu’ils se rendent compte de leur situation financière, la réalité frappe, puisqu’elle est contraire à la norme implantée, et entraine la nécessité de s’évader. Résultat, les personnages retournent à leurs vieilles habitudes d’héroïnomanes afin de fuir la pénible situation. Sobres de nouveau, le même processus s’enclenche et ainsi de suite. Le montage rapide lors des prises de drogues rappelle cette idée. Gros plan sur la substance en question : l’unique espoir, la seule pensée des personnages. L’ingestion ou l’injection : le retrait du monde réel. Gros plan sur les pupilles dilatées : l’atteinte du but, la réussite de la fuite. Cette rapidité dans la présentation d’image laisse entendre non seulement que l’effet est instantané, mais qu’il est aussi éphémère.[9] La roue tourne toujours. Afin de l’arrêter et de s’évader de son milieu de pauvreté, Harry en vient à la conclusion qu’un moyen facile, mais efficace pour se sortir de sa situation est d’entrer dans le marché de l’héroïne. Tyron et Harry se lancent donc dans leur petite entreprise illégale. Un temps, les affaires vont bien. Seulement, plus tard, le plan échoue. Le retour drastique à la pauvreté redémarre le processus de la roue, pire encore, puisqu’ils savent pertinemment qu’ils ne pourront retourner à ce confort.
Le désir de célébrité est une autre réalité issue du rêve américain qui est difficile à appliquer à la vie courante. Sara Goldfarb entre dans ce piège tendu par la télévision. La propagande du cinéma hollywoodien laisse à croire que l’imitation peut conduire à la réussite, à la célébrité[10] : « Imiter quelqu’un qui a réussi, c’est porter en soi une partie infime de la réussite de l’autre. »[11] Donc, Sara, se sentant seule puisque son mari et son fils sont partis, s’évade dans l’univers télévisuel en regardant son émission favorite, Juice, consistant à prendre des personnes ordinaires, à les sortir de leur quotidien et à leur faire connaître la gloire le temps d’une émission, afin d’oublier leur solitude. Tout comme la drogue et la pauvreté, la solitude éprouvée par Sara et l’image de célébrité facile proposée par l’émission Juice fondent un autre cercle vicieux. Plus Sara se rend compte qu’elle est seule, plus elle évite sa solitude en rêvant d’être connue, à un point tel que lorsqu’une personne appelle chez elle pour lui confirmer qu’elle pourrait avoir la chance de passer à la télévision, elle prend la mince probabilité pour une chance inouïe, mais certaine.
De plus, le médecin dans ce drame représente l’autorité, celle n’ayant aucune considération pour l’individu dans sa société. Le rêve américain est critiqué ici, puisque dans cette idéologie, l’autorité est égale au peuple, le supportant et l’encourageant.[12] Sara, voulant maigrir pour bien paraître à la télévision, se rend chez un professionnel qui lui fournit des amphétamines à titre de traitement minceur, drogue dure aux effets secondaires multiples. Lors de la première visite, aucun contact visuel n’est échangé entre le médecin et Sara. Cette façon d’agir laisse croire qu’il n’a aucune considération pour elle. D’ailleurs, lorsque Madame Goldfarb vient se plaindre des effets secondaires du médicament, le médecin l’interrompt, lui donne une autre prescription et sort aussitôt du bureau. De plus, la possibilité d’effets secondaires graves du médicament ne semble pas inquiéter le médecin. Voyant qu’elle ne peut avoir confiance en son médecin et obtenir son appui, Sara en vient à l’évidence que les autorités de son pays, censé être présent pour tous et égaux au peuple, ne reflètent pas l’image pompeuse faite d’elles par le rêve américain. Sa vision du pouvoir est alors bouleversée et elle cherche à se le cacher.
Une autre réalité importante qui transparait dans Requiem for a dream est le regret du passé, celui de cette famille parfaite tant promise par le rêve,[13] une famille à laquelle les personnages n’ont pas eu droit. Sara Goldfarb cherche à oublier son passé dans la télévision en passant le plus clair de son temps assise dans son fauteuil, la télécommande à la main, afin de s’emplir le cerveau d'autres informations que ses problèmes. La femme imagine souvent des dialogues avec un mari qui n’est plus. D’ailleurs, son désir de remettre la fameuse robe rouge portée à la remise du diplôme secondaire de son fils où elle et son mari étaient venus en couple en dit long. Elle symbolise un passé regretté. L’envie de la reporter représente un désir profond de retrouver un passé heureux, échu, un passé dans lequel sa famille semblait unie. Aussi, Sara regarde souvent la photographie de la remise de diplôme, la présentant dans sa robe rouge et entourée par son mari et son fils, avec un regard nostalgique.
La dernière réalité à laquelle les personnages peinent à adhérer, en vertu du rêve américain, est en lien avec les relations humaines : le bonheur dans la vie de famille et l’amour.[14] Les relations entre les protagonistes montrent leur solitude davantage que l’union entre eux. La relation de couple d’Harry et Marion rappelle à cette idée. Dans une scène, les amoureux viennent tout juste de consommer. Ils se retrouvent étendus sur le sol, nus et se caressent tout en se parlant. Cette scène est filmée en split-screen, montrant les caresses des personnages des deux points de vue, celui qui donne son affection et celui qui la reçoit. Cette vision de l’échange amoureux ne fait qu’avancer le fait que même s’ils sont près et se touchent, les personnages sont pris dans leur propre solitude, ne laissant ainsi pas de place à l’amour.[15]
1.2 La réalité à fuir dans Trainspotting
Le roman écrit pas Irvine Welsh est intimement lié à la situation politique et financière des années 1980 en Écosse.[16] Une union a été déclarée en 1707 entre l’Angleterre, l’Écosse, le Pays de Galle et l’Irlande, tout perdant leur indépendance. Ces pays sont alors gouvernés par la même tête. Déjà, une tension monte parmi les Écossais qui, au cours des années, subissent différentes crises liées aux autres pays appartenant à l’Union. Ils sont réduits au silence politique. Trainspotting est écrit lors du règne de Margaret Tatcher. Une importante crise économique éclate et perdure sous sa gouverne. Donc, la rage face à l’injustice qui n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis le début de l’Union et pendant la situation économique précaire force les protagonistes à fuir le monde dans lequel ils vivent. [17]
D’ailleurs, dans le roman, Mark Renton, surnommé Rent ou Rent Boy, exprime sa rage contre cette alliance qui brime le peuple écossais. Renton assiste à l’enterrement de son frère décédé dans une mission lors d’un tour de garde. Lorsqu’il contemple le cercueil, il se fait la réflexion suivante : « Voir ce putain d’Union Jack sur son cercueil m’a fait bouillir. »[18] Le drapeau du Royaume-Uni, surplombant le cercueil, rappel au personnage principal les différentes pertes et méfaits qu’a apporté l’union, en passant par le décès de son frère, et il ne peut s’empêcher d’être frustré. Impuissant et révolté, Renton ne sait quoi en faire et n’a que pour seuls moyens soit de crier sa rage en silence, soit de fuir bien souvent à coup d’héroïne.
Aussi, la pauvreté due à la crise économique affecte les personnages de Trainspotting. La plupart sont sans emploi et, malgré leurs tentatives de se trouver un travail, n’arrive pas à s’en dénicher un. L’argent qu’ils ont en poche sert habituellement à payer le loyer, la nourriture et la drogue, puisque la situation financière précaire porte à l’utilisation de celle-ci afin d’oublier cette réalité. Aussi, le langage utilisé par les protagonistes laisse deviner leur niveau de scolarité réduit par un manque de financement. En effet, c’est dans un jargon écossais qu’interagissent et pensent ceux-ci : « merde », « caille », « croupion », « bordel », « baise », « enculé », etc., sont des mots fréquents dans le roman.[19]
Comme le pouvoir en place désillusionne les personnages de Trainspotting, l’absurdité de la vie devient un enjeu important, une part du quotidien. Renton le verbalise : « La vie est rasoir et inutile. Au départ, on est plein de rêves extraordinaires et puis on se retrouve assis dessus. On se rend compte qu’on va tous y passer sans avoir vraiment trouvé les grandes réponses. […] En deux mots, ta vie est courte, décevante et ensuite tu meurs. »[20] Renton se rend à l’évidence que sa société lui renvoie l’image d’une existence inutile et pire encore, renvoie constamment au destin tragique de l’Homme. Les personnages, devant ce fait, cherchent à fuir dans l’héroïne, entre autres. Sobres de nouveau, les personnages subissent encore l’absurdité qu’ils cherchent à fuir et reprennent de l’héroïne. La roue tourne indéfiniment.
L’absurdité engendrée par le pouvoir en place a des répercussions importantes sur la responsabilité de l’humain. Les personnages, confrontés à l’inutilité de leur vie, refusent d’avoir des responsabilités sociales et personnelles, les évitent. Voilà ce que Renton tente de verbaliser à l’intention de son ami Spud : « Quand t’es toxicos, tu ne t’occupes que de la fourniture. Quand t’es propre, tu te fais brouter par des tas de choses. »[21] Le protagoniste refuse ses responsabilités en ne se souciant que de sa drogue. Il refuse de se prendre en main puisqu’il ne voit pas l’intérêt de rendre sa vie compliquer quand il peut la rendre simple. Pour Renton, la simplicité s’apparente à la seule action de s’approvisionner en drogue. Le reste devient beaucoup trop complexe. Ainsi, il fuit ses responsabilités ne voyant pas la nécessité de se responsabiliser dans ce monde désillusionné, absurde.
L’absurdité a aussi une influence sur les relations humaines puisqu’elles sont souvent complexes et difficiles à gérer. Ainsi, dans l’incapacité de comprendre les défaillances de ces relations, les personnages dans Trainspotting sont confrontés au non-sens qui renvoie à l’absurdité. Donc, dans le roman de Welsh, les liens entre les personnages et leur cohabitation sont déficients. Les protagonistes sont constamment confrontés à la difficulté de communiquer et à l’incapacité à faire confiance. C’est ce que Renton rapporte en pensant aux paroles du revendeur de drogue, Johny Swan: « Je me souviens qu’un jour, il m’a dit : on n’a pas d’amis dans cette branche. Juste des associés. […] Maintenant, je sais parfaitement ce que ce con veut dire. »[22] De plus, la surutilisation de mots vulgaires désignant les gens de l’entourage et la multiplication des surnoms pour chacun, au moins deux par protagonistes, laisse croire que non seulement les personnages sont méfiants et mauvais envers les autres, mais aussi qu’ils ne leur accordent pas une identité fixe, complète et complexe afin de ne pas s’attacher à eux.
1.3 Comparaison de la réalité à fuir entre les des deux œuvres
La majeure différence entre Requiem for a dream et Trainspotting est le contexte des œuvres. Le film de Darren Aronofsky met l’accent sur le rêve américain et le roman d’Irvine Welsh est ancré dans la réalité écossaise des années 1980 et 1990. Donc, la réalité dans laquelle baignent les protagonistes n’est pas la même.
Par contre, ces deux contextes engendrent des réactions similaires, sujets ressemblants qui portent à fuir. Ainsi, l’absurdité de la vie et le besoin de fuite devant cette constatation se retrouvent dans les deux œuvres, mais de manière différente. Chez Welsh, l’absurdité est plus directe puisqu’elle découle du contexte dans lequel les personnages évoluent. Les déboires des relations humaines et le rapport entre l’État et son peuple soumis représentent concrètement l’absurdité. Chez Aronofsky, l’absurdité est plus subtile. Le regret du passé de Sara dans son désir d’avoir une famille heureuse et unie rend compte de l’absurdité. L’émission Juice est pourtant plus révélatrice puisqu’elle cherche à rendre le quotidien banal des gens un peu plus palpitant.
Autre point commun portant à la fuite : la situation financière. Autant dans le film que dans le roman, les protagonistes souffrent d’un manque d’argent, même si Trainspotting est plus axé sur la pauvreté. D’ailleurs, l’idée de la roue tournante entre la prise de drogue et la réalisation de la situation précaire transparait dans les deux œuvres.
De plus, Aronofsky et Welsh présentent une facette de l’autorité qui porte à fuir. Dans Requiem for a dream, le médecin, symbole d’autorité, ne semble pas avoir de considération pour ses clients, symbolisant ici le peuple. Trainspotting critique plus largement le pouvoir, en s’attaquant directement au contexte sociopolitique de l’époque par le biais de ses personnages.
Le dernier point semblable entre Requiem for a dream et Trainspotting réside dans la fuite face aux relations humaines complexes. Dans les deux œuvres, l’amour est une valeur populaire à laquelle les personnages peinent à adhérer. Par contre, la méfiance envers les autres est une notion propre à Trainspotting en ce qui a trait aux relations humaines.
Le thème de la fuite des responsabilités semble appartenir principalement à Trainspotting, mais on la retrouve en fait de manière subtile dans l’œuvre d’Aronofsky. Il est possible de le constater dans le coup d’argent d’Harry et de Tyron qui utilisent la loi du moindre effort afin d’essayer de se remonter financièrement plutôt que d’opter pour une alternative raisonnable.
En somme, même si les contextes du roman et du film sont différents, les réalités à fuir s’apparentent. En ce sens, les personnages des deux œuvres se voient confrontés à des idéologies populaires appartenant à leur contexte qu’ils n’arrivent pas à s’appliquer ou ne souhaitent tout simplement pas y adhérer. Comme déjà mentionné, les personnages de Requiem for a dream ne parviennent pas à s’identifier aux idéologies du rêve américain. Chez Welsh, l’Union en son sens large est un refus global d’adhérer aux décisions de l’État.
2. Les moyens de fuite et ses retombées
Comme l’environnement des personnages porte à fuir autant dans Requiem for a dream que dans Trainspotting, des alternatives pour ne plus faire face à cette dure réalité s’imposent. Quelles sont-elles? Certaines semblent inoffensives, d’autres engendrent des conséquences légères, d'autres, catastrophiques.
2.1 Les moyens de fuites dans Requiem for a dream et les retombées
Un des médiums employés pour la fuite est la nourriture. Au début du film, avant que Sara ne devienne obsédée par son poids et cesse de manger grâce aux effets secondaires de l’amphétamine, elle mange constamment. Lorsque Sara revient avec sa télévision du magasin où son fils l’avait vendu s’acheter de l’héroïne, elle s’empresse de l’ouvrir et de s’asseoir dans son fauteuil, un carton de chocolat à la main. Le gros plan en plongée sur les sucreries suivi d’un plan sur Sara, le regard absent les mangeant de manière automatique, laisse entendre que la nourriture n’est qu’un moyen de ne plus penser à sa relation tordue avec son fils voleur. Ce gros plan semble suggérer que le personnage est captivé, heureux de manger, mais en fait, ses gestes automatiques dans le plan suivant laissent entendre qu’elle n’est aucunement interpellée par son action, comme si le fait de manger n’était qu’un moyen de ne plus penser à rien.
Cette même scène souligne un autre moyen de fuite, la télévision. Comme le dit Raoul Anvélaut, dans un article sur le pouvoir néfaste de la télévision, celle-ci aide, comme la drogue, à s’échapper du monde réel. Ce moyen de fuite est si puissant qu’il laisse le spectateur passif.[23] C’est exactement ce qu’Aronofsky laisse entendre dans les nombreuses scènes où Sara, le visage bien souvent sans émotion, fixe la télévision d’un regard absent. D’ailleurs, les multiples gros plans rapides sur la main de la protagoniste appuyant sur le bouton « ouvrir » de la télécommande soulignent l’automatisme du geste, la rapidité de l’abandon de l’esprit du personnage et même, le besoin fréquent de fuir.
La sexualité est un autre moyen pour les personnages d’Aronofsky de fuir leur réalité. Dans une des scènes de Requiem for a dream, Tyron se retrouve dans une pièce avec une femme, tous les deux nus. Avant de la rejoindre dans le lit, le personnage pense à un moment de jeunesse dans laquelle il est en harmonie avec sa mère. Son visage triste à la fin du souvenir laisse croire qu’il regrette ce temps. La scène suivante est présentée en plongée et la caméra tourne pour donner un effet de tourbillon sur les ébats sexuels des protagonistes. Le souvenir vient ici rappeler un passé échu, regretté, que Tyron tente d’oublier dans le sexe. L’effet de tourbillon le souligne, mais donne aussi l’impression d’un cercle vicieux infini. D’ailleurs, l’identité inconnue de la femme laisse croire qu’elle n’est qu’accessoire à la fuite.
Aronofsky, Darren, Requiem for a dream, image tirée du film. |
Un autre moyen de fuite évident tout au long de l’œuvre est la drogue, mais surtout l’héroïne. Ce phénomène est apparent dans la scène décrite plus tôt où Harry, suite à l’échange avec sa mère, remédie à sa tristesse avec une injection d’héroïne. Marion, dans une autre scène, suggère aussi le besoin de fuir par la prise de ces substances. Elle fait face à un miroir et ose à peine se regarder. Sans trop comprendre vraiment ce qui se passe dans sa tête, il est facile de déduire par ces gestes en tant que spectateur que quelque chose la tracasse. Afin de ne plus y penser, elle ingère de la cocaïne. Enfin, elle arrive à se faire face. Son regard absent et son relâchement instantané laissent entendre qu’elle a réussi à échapper à ce qui semblait la déranger.
La drogue est un moyen de fuite, mais elle n’est pas sans dommage. Elle crée une forte dépendance. Même si Marion a suivi des cures de désintoxication, l’emprise que les substances ont sur elle l’a poussée à arrêter sa thérapie. Comme elle est redevenue toxicomane, lorsqu’elle tombe en pénurie de drogue, le manquement de celle-ci enclenche un besoin mental, mais aussi physique d’en consommer à nouveau. Vers la fin du film, Marion, en carence, s’agite et gémit dans son sommeil. La scène est présentée en accéléré. S’ensuit un gros plan sur son visage lorsqu’elle se réveille en sursaut et en sueur. Marion est tellement dépendante de la drogue que même dans son long sommeil, représenté par l’accéléré, son corps et son esprit agités l’empêchent de dormir adéquatement. Les actions banales de la vie deviennent alors encore plus pénibles : un autre cercle vicieux s’installe ici, la prise de drogue devenant de plus en plus importante afin de fuir le fait que la dépendance est réelle et affecte davantage la réalité.
La dépendance à la drogue est si forte qu’elle pousse les personnages à agir de façon immorale, à s’oublier complètement, à ne plus se respecter. C’est le cas de Marion qui finit par se prostituer pour son héroïne à défaut de ne pas avoir d’argent. Elle commence avec quelqu’un qu’elle connait, afin d’avoir de l’argent pour s’acheter sa drogue. Dans la scène suivant l’ébat, lorsqu’elle sort de la chambre, le visage de Marion est filmé en gros plan, en plongée et la caméra se déplace en travelling avec le personnage. Le mouvement saccadé nous met dans sa position et la sueur additionnée à son regard vide nous fait sentir le mal que lui procure cette séance allant à l’encontre de ses valeurs. D’ailleurs, ce malaise est si intense qu’à la fin de la scène, elle vomit sur le trottoir. Le manque de drogue est si intense que Marion va même jusqu’à s’oublier complètement en offrant son corps à une orgie sexuelle afin d’obtenir sa dose d’héroïne.
Aussi, la possibilité de contracter une maladie par les méthodes de consommation est représentée dans Requiem for a dream par l’infection au bras d’Harry. Il contracte une gangrène en se piquant obstinément dans le même bras. Au départ, il ne s’en soucie pas, bien trop dépendant pour laisser place à l’inquiétude. Il finit par réagir lorsque la douleur est insupportable. La gangrène a fait de tels ravages que le bras d’Harry se doit d’être amputé. L’ampleur des conséquences de l’infection met bien en relief ici les maladies possibles à contracter avec la drogue.
2.2 Les moyens de fuite dans Trainspotting ainsi que les retombées
La sexualité est un outil de fuite dans Trainspotting. Beaucoup de personnages dans le roman se replient sur le sexe afin de ne pas constater l’absurdité, la solitude de l’être humain. Lorsque Renton demande à son ami Tommy s’il est triste par rapport à sa rupture avec Lizzy, ce dernier répond : « Chaipas. Pour être honnête, c’est son cul qui me manquera le plus. Ça et avoir quelqu’un, tu comprends. »[24] La première phrase laisse entendre que la sexualité est le lien suprême dans le couple de Tommy. La deuxième met en lumière sa peur de la solitude. Les deux phrases s’enchainant laissent entendre que la certitude d’une vie sexuelle stable aide à oublier la solitude.
Un autre moyen de fuir la réalité est la prise de calmants et autres médicaments alternatifs pour calmer le stress et les émotions négatives qui portent à ce besoin de s’évader. Bien des personnages reprochent à Renton de consommer de la drogue dure, mais ceux-ci croulent sous la prise de médicaments afin d’équilibrer leur vie. Lorsque Rent boy, au début du roman, décide d’arrêter, il prend les grands moyens : il loue un appartement et amène divers articles importants à son traitement personnel. Dans sa trousse, du « Valium » emprunté à la pharmacie de ses parents afin de résister à la tentation, réalité à laquelle il doit faire face. Évidemment, le plan échoue rapidement. Tout de même, le personnage est conscient de ne pas pouvoir faire face aux difficultés et a besoin d’une autre alternative pour fuir.
Comme souligné plus tôt à quelques reprises, la drogue est une des échappatoires les plus importantes dans le roman de Welsh. Renton affirme son besoin de s’évader dans ces substances illicites :
En fait, à l’heure qu’il est, je me tiens cette idée : la drogue fait l’affaire quand tout le reste est chiant et sans intérêt.
Mon problème, c’est que, dès que je flaire une possibilité, ou que je réalise que je peux obtenir une chose que je croyais désirer, une caille, un appart, un job, un diplôme, de l’argent, ou autre chose, ça devient aussitôt morne et si stérile que je suis incapable d’y trouver un quelconque intérêt. [25]
Boyle, Dany, Trainspotting, image tirée du film |
L’ennui dont il parle au début met en évidence sa peur de constater l’absurdité de la vie, le fait que l’homme n’a pas de but précis sur la terre. Comme le dit Albert Camus, « la pensée de l’homme est avant tout sa nostalgie. »[26] Ainsi, pour ne pas faire face à l’aberration de l’espèce humaine, Rent boy part dans son monde intoxiqué. Un des titres de chapitre rend compte de cette réalité de manière flagrante : « L’écosse se drogue pour s’abriter la tête »[27]. D’ailleurs, selon le discours tenu par Renton, cette condition humaine est renforcée par un désir qui, au final, lorsqu’il peut être assouvi, semble futile. Donc, le quotidien à lui seul est créateur du besoin de fuite. Mais celui-ci se manifeste aussi dans des situations plus dramatiques, moins banales. Lorsque Lesley découvre son enfant décédé d’une mort subite, complètement hystérique, elle réquisitionne aussitôt de la drogue à Renton : « Tu cuisines? Il me faut un shoot, Mark. Putain, j’ai vraiment besoin d’un fix. Sois chic, Mark, prépare-moi un fix… »[28] Plusieurs autres situations d’ampleurs différentes font aussi appel à la drogue comme moyen de fuite.
Par contre, la drogue, mais surtout l’héroïne, est néfaste sur plusieurs points. Elle crée dans un premier temps une forte dépendance chez les personnages de Welsh. Selon Santé Canada, l’héroïne crée une si forte dépendance qu’après seulement deux à trois semaines de consommation régulière, l’arrêt de l’emploi est extrêmement difficile.[29] Le besoin est autant psychologique que physique. La souffrance corporelle est réelle lorsque Renton est forcé d’être en sevrage : « Je me lève pour manger. Fragile, friable, plié en deux, je rame jusqu’en bas de l’escalier. Chaque geste fait monter le sang à ma tête qui n’en peut plus. »[30] Le simple fait de souffrir physiquement pousse Renton à constamment prendre son héroïne de manière régulière.
Aussi, le risque de contracter le VIH en utilisant des seringues contaminées est une réalité courante dans Trainspotting : « La majorité des membres de Séro et Positif étaient des drogués qui se piquaient. Ils avaient attrapé le virus pendant les séances de pique collectives qui avaient fleuri en ville au milieu des années quatre-vingt, après la fermeture des boutiques de chirurgie de Bread Street. »[31] La dépendance est si forte que, lorsqu’il y a une pénurie de seringues propres, la santé et la précaution deviennent des éléments secondaires. Résultat : la condamnation à mort.
2.3 Comparaison des moyens de fuites entre les deux œuvres et les répercussions
La fuite dans la nourriture et par la télévision ne sont pas des thèmes visibles dans Trainspotting. Sara est le seul personnage auquel il est possible d’associer ces outils afin d’oublier. Par contre, dans Requiem for a dream, il n’est pas question de fuite grâce aux calmants. Seulement Trainspotting rend compte de ce phénomène. Par contre, il est vrai que Sara prend de l’amphétamine afin de maigrir. Plus elle en prend, moins elle accepte sa réalité. Ainsi, son amphétamine devient aussi un moyen de fuir. De plus, elle en devient dépendante. Un autre point commun dans les outils de fuite est le besoin de s’évader dans la sexualité. Même si dans le film d’Aronofsky le sexe sert à oublier le passé et que dans Trainspotting, il est nécessaire pour éviter la solitude. Il en est de même pour la drogue, qui est un outil d’évasion autant dans le film que dans le roman. Dans les deux œuvres, l’héroïne est souvent l’échappatoire le plus efficace.
De plus, la dépendance, autant chez Irvine que chez Aronofsky, est une des conséquences communes. Le besoin physique et psychologique est représenté avec la même ampleur. Ils se perçoivent autant chez Marion et son sommeil agité que chez et Renton et sa difficulté à se déplacer sans maux lorsque tous les deux sont en sevrage. Par contre, la décente aux enfers est plus prononcée dans Requiem for a dream que dans Trainspotting. Comme mentionné plus haut, la dépendance de Marion est si forte que la dignité humaine n’a plus d’importance. La jeune femme va jusqu’à oublier ses valeurs en se prostituant pour de l’héroïne. Chez Welsh, Lesley est un des personnages qui sombre de plus en plus dans la drogue suite à la mort de son enfant qu’elle n’a pas su surveiller suffisamment, trop occupée à consommer. Le décès de son bébé est un élément de sa vie qui la trouble et la précipite encore plus profondément dans l’abime où elle descendait déjà. Les problèmes de santé sont aussi des points communs aux répercussions de l’héroïne. Chez Aronofsky, son personnage Harry contracte une gangrène qui l’oblige à se débarrasser d’un de ses membres. Chez Welsh, le VIH est courant dans le milieu des toxicomanes. En somme, les deux œuvres suggèrent la possibilité de contracter une maladie en employant des seringues souillées. De plus, la gangrène et le VIH apportent de graves conséquences.
3. L’aboutissement de la fuite
Par divers moyens, les personnages dans chacune des œuvres ont tenté de fuir plusieurs éléments d’une réalité difficile à assumer. Au final, ont-ils réussi à la fuir?
3.1 L’aboutissement de la fuite dans Requiem for a dream
Aronofsky, Darren, Requiem for a dream, image tirée du film |
Comme mentionné auparavant, Requiem for a dream est un drame qui précipite les personnages dans un tourbillon qui aboutit aux enfers. Ainsi, malgré leurs efforts d’évasion, les protagonistes s’enlisent dans leur réalité, la rendant pire à la fin du récit qu’elle pouvait l’être au commencement.
Les trois jeunes, Tyron, Marion et Harry, connaissent leur triste sort final à cause de la drogue, leur moyen principal de fuite. Tyron, pris par la police pour consommation illégale, se retrouve à faire des travaux forcés en prison. À sa dernière apparition à l’écran, il est couché en position fœtale dans le lit qui lui est attribué. Ce positionnement renvoie au fait qu’il se retrouve maintenant seul, encore plus loin de son souvenir heureux avec sa mère. Marion, comprenant qu’Harry ne reviendra pas à temps avec l’héroïne, s’abandonne complètement dans la prostitution. La dernière image d’elle la présente couchée en position fœtale, un sac d’héroïne serré contre son cœur. Cette position laisse croire que sa descente n’est pas finie, puisque tout ce qui lui reste est l’héroïne, celle qu’elle tient fermement contre elle telle une bouée. Harry se retrouve dans la même position, le bras amputé. Ce comportement montre qu’il comprend que sa copine ne l’attendra pas à son retour, si bien sûr il n’est pas interné à son tour. Il a perdu, à cause de sa dépendance et de celle de Marion, la seule personne qu’il aimait réellement. D’ailleurs, son moignon propose l’idée selon laquelle il a perdu beaucoup en fuyant dans la drogue.
Sara, devenue accroc à l’amphétamine qu’elle prenait pour devenir mince afin de réaliser son rêve, passer à la télévision, subit des répercussions importantes à cause de la prise de cette drogue. Afin de ressentir l’effet procuré par sa médication, elle augmente les doses tout au long du récit. Au final, la quantité d’amphétamine devient trop importante pour son équilibre mental. Elle finit en psychiatrie, dépouillée de personnalité suite à une sismothérapie cérébrale. La dernière image qu’on a d’elle la montre elle aussi couchée en position fœtale dans sa chambre d’hôpital, rêvant de célébrité. La scène de son rêve se superposant sur celle où Sara est couchée montre qu’à force de chercher à fuir sa réalité en se perdant dans une autre, elle s’est perdue elle-même. Pourtant, d’une certaine façon, il est possible de dire qu’elle réussit sa fuite. Son cerveau, ne semblant plus vraiment faire de différence entre le réel et la fiction suite à son intervention, lui permet de vivre pleinement la réalité dont elle a envie dans sa tête.
Bien des personnages du roman de Welsh se sont perdus à fuir dans la drogue. Plusieurs ont connu la mort à chercher à fuir dans l’héroïne non seulement à cause du VIH, mais aussi à cause de négligence. C’est ce qui arrive à Matty, héroïnomane habitant seul. Ne voyant plus d’intérêt pour rien d’autre que sa drogue, et constatant ce fait, en prenant toujours plus pour ne pas trop y penser, laisse son chat faire ses besoins dans son appartement sans nettoyer. Il meurt donc de toxoplasmose, retrouvée dans les selles du félin. Aussi, la fuite dans la drogue mène Lesley à oublier ses responsabilités matriarcales, tuant involontairement son enfant par le biais de son oisiveté. Ainsi, dans plusieurs cas, la fuite de la réalité dans la drogue conduit à la mort.
Pour d’autres, la réussite de la fuite est plutôt abstraite. Renton finit par se sevrer et à vivre à jour le jour. Ayant une possibilité de faire un coup d’argent avec des amis en revendant de l’héroïne, il se doit d’essayer le produit afin de s’assurer de sa qualité. Il se promet que c’est sa dernière injection. Voilà qu’une idée traverse son esprit : fuir avec l’argent. Il décide donc de quitter Édimbourg et de partir loin, pour ne pas être retrouvé par ses confrères abandonnés. Il est tentant de dire qu’en partant loin de ses problèmes et les poches pleines, le besoin de fuir la réalité dans laquelle il baignait à Édimbourg ne sera plus un problème ou du moins, sa nouvelle fuite sera un succès. Pourtant, l’endroit où Renton souhaite s’installer laisse croire qu’il ne s’en sortira pas : Amsterdam, le lieu de perdition, endroit de tolérance. De plus, à toutes les fois que Renton, sevré, retouchait une seule fois à l’héroïne dans les différents moments de l’intrigue, il retombait immédiatement sous l’influence de cette drogue. Il est pourtant possible qu’il s’en sorte, même si les chances sont minces.
3.3 Comparaison des aboutissements entre les deux œuvres
Autant dans Requiem for a dream que dans Trainspotting, la fuite mène à un échec. La majeure différence réside dans la situation catastrophique dans laquelle les quatre personnages d’Aronofsky se sont entrainés individuellement à force d’essayer de fuir. Une autre divergence dans l’échec de la fuite réside dans l’aboutissement mortel de certains personnages de Trainspotting, ce qui n’est pas mentionné chez Aronofsky. Pourtant, un seul personnage a une infime chance de s’en sortir, Renton. Au moins, on n’assiste pas à sa déchéance à la fin du roman, mais à une certaine ouverture. De plus, Sara est l’unique personnage qui, d’une certaine façon, peut désormais se créer des fictions sans avoir à se soucier du présent.
Après comparaison, le roman de l’Écossais Irivine Welsh, Trainspotting, ainsi que le film de l’États-Unien Darren Aronofsky, Requiem for a dream, exposent le thème de la fuite de la réalité de différentes façons selon l’angle d’analyse. Les contextes, propres à chaque œuvre culturelle, dans lequel les personnages baignent, ne se rejoignent pas, le film critiquant le rêve américain et le roman prenant appuie sur une réalité historique écossaise. Par contre, ces divergences renvoient en grande majorité aux mêmes réactions, aux mêmes idées. L’absurdité de la vie qui, par ricochet, se répercute sur les relations humaines complexes, la situation financière précaire et le mépris des autorités envers son peuple sont tous des éléments provenant de contextes contraires qui occasionnent un besoin de fuite. D’ailleurs, les deux œuvres réagissent négativement à des idéologies populaires établies en présentant des personnages fuyant constamment les idées préconçues. Aussi, les outils utilisés par la fuite sont semblables. Les médicaments, que ce soit des calmants ou des stimulants, sont employés afin de fuir le présent. La sexualité et la drogue sont aussi d’autres alternatives communes chez Aronofksy et Welsh afin de permettre à leurs personnages de s’évader. D’ailleurs, les conséquences multiples de ces substances illicites appartiennent de manière plutôt identique aux deux œuvres : la dépendance psychologique et physique qui empêche le sevrage, la descente aux enfers, quoique plus prononcée chez Aronofsky, ainsi que de multiples problèmes de santé contractée à l’aide d’une seringue souillée. Enfin, la fuite complète dans le monde réel semble impossible autant dans Trainspotting que dans Requiem for a dream. Même si Renton semble s’en sortir, rien ne prouve qu’il ne recommencera pas ses vieilles habitudes de toxicomanes à Amsterdam. Par contre, une certaine ouverture semble s’apercevoir chez Sara qui réussit partiellement sa fuite dans son monde imaginaire.
La drogue, l’outil de prédilection de la majorité des personnages dans Requiem for a dream et dans Trainspotting afin de s’évader, est un exutoire puissant. Par contre, comme souligné précédemment, la prise de substance illicite ne se fait pas sans dommage. Que ce soit en lien avec une dépendance qui pousse à s’oublier ou les effets directs de l’injection, de nombreux problèmes sont occasionnés par l’emploi d’héroïne.[32] Un excellent moyen de fuir sa réalité lorsqu’elle devient trop lourde à supporter et qui, de plus, n’engendre pas de conséquences graves et n’abrutit pas, comme la télévision[33], reste la littérature. Effectivement, lire mène à l’évasion dans l’imaginaire, dans une fiction près ou loin de la nôtre, tels un rêveur s’inventant une réalité ou un psychopathe vivant son délire,[34] et ce, sans compter les bienfaits de la lecture : stimulation de l’esprit, amélioration des capacités orales, augmentation des connaissances générales, etc.[35] Rien ne peut empêcher l’humain de fuir puisque cette réaction est ancrée en lui comme moyen de défense primitif.[36] Si l’être humain n’a pas de contrôle sur ses réactions de fuite, il en a tout de même sur sa façon de s’évader. À lui d’éviter les moyens faciles et endommageant et d’opter pour des alternatives saines qui peuvent même être bénéfiques.
[1] S. Pascual, Remparts, coursives et échauguettes : les états de défenses aux émotions, sur Ithaque Coaching [en ligne], (site consulté le 25 mai 2012).
[2] Loc. Cit.
[3] A., Godet, « De quel rêve parle-t-on? » sur Les clés de la langue, [en ligne], (site consulté le 15 février 2012).
[4] M., Jourdren, Le rêve imposé ou la machine Hollywoodienne au serrvice de l’idéologie dominante, [en ligne], (site consulté le 18 mai 2012).
[5] B. Genton, Le « rêve américain » : Idéal-type ou slogan de circonstance, (consulté sur paradigme).
[6] A., Godet, « De quel rêve parle-t-on? » sur Les clés de la langue, [en ligne], (site consulté le 15 février 2012).
[7] D. Aronofsky, Requiem for a dream, 1h42.
[8] A., Godet, « De quel rêve parle-t-on? » sur Les clés de la langue, [en ligne], (site consulté le 15 février 2012).
[9] R. Ebert, Requiem for a dream, [en ligne], (site consulté le 15 février 2012).
[10] Série mémoires dirigée par Dougier Henry, Hollywood 1927-1941, La propagande par les rêves ou le triomphe du modèle américain, p. 186.
[11] A., Godet, « De quel rêve parle-t-on? » sur Les clés de la langue, [en ligne], (site consulté le 15 février 2012).
[12] A., Godet, « De quel rêve parle-t-on? », dans Le rêve américain dans la rhétorique présidentielle américaine moderne, [en ligne], (site consulté le 15 février 2012).
[13] Loc. cit.
[14] A., Godet, « De quel rêve parle-t-on? », dans Le rêve américain dans la rhétorique présidentielle américaine moderne, [en ligne], (site consulté le 15 février 2012).
[15] L-P., Willis, Requiem for a dream : Le cinéma comme critique de la culture, p. 112.
[16] M., Silber, « Assis sur leurs rêves», Le monde, p. 5.
[17] G., Leydier, « Les années Thatcher en Écosse : l'Union remise en question », dans Revue française de science politique, pp. 1036 – 1039.
Lutte ouvrière, Nationalisme écossais et illusions régionalistes, [en ligne], (site consulté le 15 février 2012).
[18] I., Welsh, Trainspotting, p. 239.
[19] R. Charest, « Les junkies d’Édimbourg, un livre majeur, déstabilisant, cru, que la traduction dessert », dans Le Devoir, p. D6.
[20] I. Welsh, Trainspotting, p. 110.
[21] I. Welsh,Trainspotting , p. 156.
[22] Ibid., p. 15.
[23] R. Avélaut, La télé qui abêtit, désinforme, avilit? Décrochons!!!, sur R-sistons à la désinformation, [en ligne], (site consulté le 25 mai).
[24] I., Welsh, Trainspotting, p. 108.
[25] I., Welsh, Trainspotting, p. 111.
[26] A., Camus, Le mythe de Sisyohe, p. 71.
[27] I., Welsh, Trainspotting, p. 89.
[28] Ibid., p. 71.
[29] Santé Canada, Préoccupations liées à la santé, Héroïne, [en ligne], (site consulté le 26 mai 2012).
[30] I., Welsh, Trainspotting, p. 212.
[31] Ibid., p. 272.
[32] Santé Canada, Préoccupations liées à la santé, Héroïne, [en ligne], (site consulté le 26 mai 2012).
[33] R. Avélaut, La télé qui abêtit, désinforme, avilit? Décrochons!!!, sur R-sistons à la désinformation, [en ligne], (site consulté le 25 mai).
[34] J, Garneau, Québec français, n°91, pp. 79-82.
[35] P. Dumayet, « Lire est le seul moyen de vivre plusieurs fois », [en ligne], (site consulté le 15 juin 2012).
[36] S. Pascual, Remparts, coursives et échauguettes : les états de défenses aux émotions, sur Ithaque Coaching [en ligne], (site consulté le 25 mai 2012).
Médiagraphie
Film
Aronofsky, Darren, Requiem for a dream, États-Unis, 2000, 1h42.
Livres
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Série mémoires dirigée par Dougier Henry, Comité international d’historiens, Agulhon, Maurice; Burke, Peter; Herding, Klaus; Hersant. Yves; Le Goff, Jacques ; Magris, Claudio; Martinez, Shaw; M’Bokolo, Eliakia; Revel, Jacques; Von Thadden, Rudolf, Hollywood 1927-1941, La propagande par les rêves ou le triomphe du modèle américain, Autrement, France, 1991, 263 p.
Welsh, Irvine, Trainspotting, Édition de l’Olivier, Points, France, mai 1998, 380 p.
Mémoire
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